Au cercle Béraud, comme tous les après-midi, les joueurs de boules se sont réunis sous les platanes. Boules cloutées en main, ils jouent au jeu libre (l’actuel provençal), entourés d’une galerie de spectateurs qui suivent leurs ébats avec fort intérêt et moultes commentaires. Au premier rang, assis sur des chaises louées à Ernest Pitiot, le gérant des lieux, les ”papys” critiquent et conseillent.

Malheureusement, n’ayant plus l’agilité de leurs jeunes printemps, ils réagissent à retardement et trop souvent, au gré au joueurs, arrêtent les boules, ce qui ne manque pas de créer un climat conflictuel, voire même quelques échanges aigres-doux décuplés, il est vrai, par l’impact imagé de la langue provençale.

Las de ces “escagasseries”, Ernest Pitiot, décide donc un jour de supprimer les chaises, à l’exception d’une seule, réservée à son ami Jules Lenoir, perclu de rhumatismes et pour lequel la station debout est des plus pénibles. Ancien bon joueur, Jules Lenoir, suit donc les parties en restant derrière le rond de telle sorte qu’il ne risque pas de gêner.
Néanmoins, bien triste de ne pouvoir lui aussi se fendre pour pointer et s’élancer pour tirer, il ne manque pas, lorsque les joueurs posent leurs boules près du rond, d’en ramasser une, de la caresser et même de la jeter en direction d’une autre.

   
Ernest Pitiot, a bien entendu, remarqué son manège et, un jour, lui propose la chose suivante: “puisque tu ne peux te déplacer, nous allons faire une partie en restant les pieds tanqués dans le rond, et nous nous bornerons à jouer à une courte distance”. Cette idée illumina le visage de Jules Lenoir.

C’est ainsi que nos deux compères créèrent cette chère “pétanque”. Bientôt, d’autres les imitèrent. Malgré la résistance des “traditionnalistes”, le jeu conquit la Provence. Plus tard Ernest Pitiot fonda la ligue de Languedoc-Roussillon et en 1945 naquit la Fédération Française.